Nager contre le courant

C’est 1986 et j’ai 17 ans. Mon chemin avec la pilule débute avec une visite médicale d’urgence. Ma vie sexuelle avait commencé la veille avec le cousin Canadien d’amis de la famille. Il ressemblait à Chachi de Happy Days et j’étais tombée sous son charme. Au point d’aller de 0 à 90 en une seule nuit… Il y avait le moment béat d’après-coup, béat parce que c’était terminé – eh oui, les premières fois. Suivi par le moment affreux, où deux doux naïfs regardaient le préservatif déchiré avec horreur. Avec le recul, je penche plus pour une erreur d’utilisateur qu’un vice de fabrication. Peu importe, j’ai appelé mon boulot du samedi en marmonnant quelque chose sur les moules marinières à ma patronne, pas pour la dernière fois d’ailleurs. Et là, je me retrouve devant le médecin qui me dévisage froidement. Elle me traite d’irresponsable et parce que j’ai 17 ans je n’ose pas lui dire que nous essayions d’être responsables. Je pars avec non seulement une ordonnance pour la pilule mais aussi pour la pilule de lendemain.

Cette dernière présente un problème pour les deux pharmacies du village, bien que cela donne aux pharmaciens l’occasion de travailler le regard méprisant. « Ce n’est pas le genre de chose que nous vendons, Mademoiselle. » Mon père me conduit à quatre autres pharmacies, en commentant mon teint verdâtre « Les moules peuvent être traîtres! » Enfin, on tombe sur celle qui vend le nécessaire à des filles immorales de mon genre. J’ai cru que mon moral, ainsi que ma morale étaient à zéro mais c’était sans compter les 24 heures suivantes, passées à essayer de ne pas vomir la méga-dose d’hormones synthétiques qui me donnaient la nausée tout en tâchant de garder une allure séductrice pour mon inamorato.

Mon objectif à 17 ans était archi-simple : découvrir le sexe, ne pas payer le prix. La pilule s’annonçait comme un passeport vers ce pays où le plaisir régnait, ou bien régnerait moyennant entraînement… Le prix, les risques, les effets secondaires, tout ça ne se discutait pas en 1986 et ça ne se discute pas plus en 2012.

La grande révolution de la pilule était de mettre la contraception entre les mains de la personne la plus concernée par la fertilité, celle qui abritera les conséquences de cette nuit de passion, ou cette nuit de maladresse adolescente qu’on va tenter de ré-imaginer en nuit de passion. Bref, la femme n’avait plus à faire confiance à son chéri pour maîtriser l’art subtil du préservatif et peut-être plus significativement, monsieur n’avait plus besoin de s’habiller. Or ce n’est plus vrai! La pilule ne protège pas contre les maladies sexuellement transmissibles. Donc si on doit utiliser un préservatif, a-t-on besoin de prendre la pilule aussi? Rassurez-moi les filles que vous insistez sur les préservatifs, pas vrai? Nous avons hérité d’un message de nos mères, peut-être de nos grande-mères, pour qui une grossesse inopinée en dehors du mariage était impensable : Il. Ne. Faut. Pas. Tomber. Enceinte. Mais le SIDA ne rôdait pas à l’époque de Maman et Mamie.

Aujourd’hui, environ 7 millions de femmes en France utilise une contraception hormonale, soit 70% des femmes en âge de procréer. Pour la tranche d’âge de 20-24 ans, le chiffre s’élève à 86%. ¹ Quelque part, ça se comprend : quand j’ai demandé à un de mes premiers gynécologues français s’il y avait des alternatives à la pilule la réponse était ‘Non. Mais vous êtes anglaise. Rentrez chez vous et faites-vous prescrire un diaphragme!’ C’était la première fois qu’on ma encouragée à rentrer chez moi… Donc déjà, le message est qu’il n’y a pas d’alternative.

La pilule est autorisée en France depuis 1967 et son action consiste à interférer avec le cycle menstruel naturel de la femme ; les hormones synthétiques apportées par la prise de la pilule empêchent l’ovulation et inhibent la fertilité. Les hormones de synthèse ne sont pas identiques à celles que nos corps fabriquent. Quand on regarde les structures moléculaires de l’œstrogène et de la testostérone présents dans nos corps, on découvre qu’elles ne différent que par un seul électron. Cette minuscule différence déterminera si un bébé manifestera des caractéristiques mâles ou femelles. Imaginez donc l’effet d’une chaîne de modifications dans cette structure que comportent les hormones de synthèse. Pourquoi a-t-on recours à des hormones de synthèse en premier lieu? Tout simple : des hormones naturelles coûtent très cher et on ne peut pas breveter des substances ou des composés naturels… ²

Aujourd’hui on vante la sécurité de la pilule ‘troisième génération’. Les effets secondaires de la première génération de la pilule – risque accru d’embolie pulmonaire et thrombose veineuse profonde – sont aujourd’hui reconnus. Cependant à l’époque (de 1967 à 1975) on disait qu’elle était sans risque, et on peut lire aujourd’hui sur le site ‘Avenir des Femmes’, organe de communication du labo Theramex, filiale de Teva, que « l’innocuité [de la pilule était] établie par un Conseil de Sages en 1966. » ³ Rien que les mots ‘pilule de troisième génération’ donnent l’impression d’un médicament ‘dernier cri.’ Or, contrairement à la ‘mini-pilule’ de 2ème génération, la nouvelle double le risque de caillots sanguins : entre 600 et 1200 cas par an, et une fourchette de 20 à 40 décès par an. ⁴ Depuis 2001, la HAS (Haute Autorité de la Santé)  recommande que les filles/jeunes femmes commencent avec une pilule de 2ème génération d’office : ces conseils ne sont pas toujours respectés par nos médecins et gynécologues. « Confort et efficacité » trompette ‘Avenir des Femmes’ mais innocuité? Des hormones synthétiques, à quatre fois la dose de nos hormones naturelles, dans les corps de 86% de jeunes femmes. Même l’eau du robinet contient des hormones, résidus de cette contraception… ⁵

Quand je parle de mon travail et ma formation sur le cycle féminin, il y a une réponse que je croise assez souvent. Elle ne s’articule pas mais se traduit par un sourire un peu trop figé comme si je venais d’avouer que je mangeais du foie cru avec mes cornflakes pour le petit déj. J’ai mis du temps à comprendre que cette dernière réaction avait peut être à voir avec la prédominance de la contraception hormonale dans notre culture. Quand on prend la pilule, nous n’avons plus de cycle. Nos règles sont des fausses, les montagnes russes de nos émotions se trouvent aplaties, la femme devient plus linéaire. Présentée comme ça, j’avoue, qu’elle a l’air assez alléchante!

Mais cette vision ‘prête-à-publicité’ ne tient pas compte des effets secondaires de tout traitement hormonal. Les maux de têtes, la dépression, sans oublier la perte de libido – (mon préféré ce dernier, qui en lui-même contourne la conception) des effets que peu de médecins évoquent. Cette vision fait également l’impasse sur les dangers à long terme de ces hormones. En 2011, pour la troisième fois depuis 1988, le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer, agence inter-gouvernementale créée par l’OMS) a classé la pilule combinée comme ‘cancérigène pour les humains’, toute comme l’amiante, l’arsenic et le plutonium. ⁶ Pourtant, nous serions étonnées de consulter un médecin pour le stress et de repartir avec une ordonnance pour des clopes…

Il règne une ambiance de complicité où les effets et les risques sont acceptés tacitement en contrepartie de la liberté que la pilule nous accorde. Je trouve une grande ironie dans ce pays où tant d’encre a coulé au sujet d’une petite minorité qui porte la voile quand la grande majorité de femmes se voile les yeux tous les jours.

Je laisserai le dernier mot à Paula Weideger, écrivant en 1975 dans son livre Female Cycles : ‘Il ne suffit pas de dire que l’œstrogène est comme un poison qui blessera ou qui détruira,  ni de dire qu’il est une bénédiction et qu’il devrait être sacrosaint. Il ne suffit pas de dire que chaque femme a le droit et le privilège de choisir ses poisons et nommer ses sauveurs. Je veux choisir mes médicaments après que je connais leurs effets secondaires, et non pas après que les effets secondaires ont ravagé mon corps.’

1   http://www.sante.gouv.fr/chiffres-et-statistiques-sur-la-contraception-en-france.html; http://www.avenirsdefemmes.com/medecine/gynecologie/contraception-pilule-anniversaire.html

2   http://www.ditchthepill.org/

3   http://www.avenirsdefemmes.com/medecine/gynecologie/contraception-pilule-anniversaire.html

4   http://www.elle.fr/Societe/Les-enquetes/Faut-il-avoir-peur-des-pilules-de-3e-generation-1819170. Excellent article qui résume la question des pilules 3ème génération.

5   http://www.sabotage-hormonal.org/spip.php?article25

6   http://www.abs-cbnnews.com/-depth/09/04/11/hormone-pills-list-carcinogens

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12 commentaires pour Nager contre le courant

  1. GAIDON Brigitte dit :

    BONSOIR
    j’ai lu votre article avec attention car j’interviens dans les établissements scolaires sur la sexualité et je suis amenée à parler de la contraception donc de la pilule ; il y a quand même d’autres contraceptions mais toujours à base d’hormones de synthèse, même le stérilet puisque le stérilet naturel en cuivre n’est plus prescrit ;
    en ce qui concerne la pilule, on en est maintenant à la 4ème génération, par exemple la yasmine, yasminette ou yas très prisée chez les jeunes filles car elle combat l’acnée comme la dyane mais elle a l’inconvénient d’avoir encore plus de risque de thrombose ou d’embolie cérébrale ;
    Certes, les hormones de synthèse, on n’en connait pas bien les effets et je suis bien d’accord qu’il faudrait les éviter (c’est la même chose à la ménopause). Mais quelle alternative ?
    Dans les « soirées », beaucoup « couchent » sans précaution, entre alcool et drogue sait-on ce qu’on fait ? alors préservatif masculin ou féminin, encore faut-il avoir l’esprit clair pour l’installer correctement ! et la pilule du lendemain trop utilisée dérégle le cycle hormonal et peut même rendre stérile.
    Peut-on préfèrer l’avortement ? il y a 30% de mineures en plus qui demandent l’avortement sans se rendre compte de la gravité de cet acte, qui peut laisser des séquelles physiques et psychiques ;
    pour les jeunes actuels, c’est quasi une nouvelle contraception : on se débarrasse de ce qu’on a dans le ventre et on repart faire la fête….
    Alors, entre 2 maux, on choisit le moindre même si on n’en pense pas moins.
    Je suis de la génération qui a apprécié ce que la pilule a apporté comme liberté à la femme, ; j’ai 64 ans, j’ai pris la pilule pendant une 20ène d’années ; ménopausée depuis plus de 10 ans, j’ai refusé les hormones de synthèse, j’ai bien vécu ce passage important pour la Femme et je suis en très bonne santé actuellement.
    Ceci est mon témoignage et n’engage que moi, bien-sûr.
    Brigitte Gaidon, sexothérapeute
    2 allée des Platanes 26240 St Uze

    • Jacqueline dit :

      Merci Brigitte de votre commentaire. Je ne prétends pas avoir la solution aux situations que vous décrivez et je suis sûre que ce billet va agacer plus qu’une personne. Entre l’IVG et la pilule, oui, je pencherais pour la pilule comme vous, car quelle alternative existe? Ce que je voulais pointer dans cet article est le degré de dissociation que les femmes vivent en ce qui concerne leurs corps, le manque d’intégrité physique. C’est un thème que je voudrais développer dans les semaines à venir. On pourrait riposter que tous les jeunes boivent, fument, prennent des risques, mais ces comportements ne sont pas cautionnés par les médecins et les gynécologues, ni la société en générale. Une fille de 14 ans prend la pilule pour nombreuses raisons aujourd’hui dont l’acné et les règles irrégulières. Or les règles sont régulièrement irrégulières au début et l’acné est horrible à vivre mais en général transitoire. Quels sont les effets sur un corps en pleine croissance de ces hormones de synthèse? Quels sont des effets de l’accumulation sans précédent d’hormones dans notre environnement, notre alimentation et notre plaquette de pilules? Ce qui me dérange profondément c’est comment nous sommes devenues complices dans une expérience à longue durée. On prend la pilule pour éviter de payer le prix d’une grossesse non-désirée mais le prix risque d’être bien plus important à long terme. J’ai pu profiter aussi du ‘confort et efficacité’ de la pilule à un certain moment dans ma vie. Aujourd’hui, j’ai des graves doutes sur mes choix. Qu’on fasse des choix, bien sûr, mais les yeux ouverts s’il vous plaît.

      • GAIDON Brigitte dit :

        Je ne peux qu’être d’accord avec vous sur le principe, je dis bien principe.
        Que dire à des filles interrogatives qui demandent du concret ? je peux évidemment les alerter mais elles me diront : que doit-on faire alors ? quelle solution ?
        Par contre, apporter une dose de conscience aux femmes adultes, aux mères, pour, en effet, prendre des décisions en toute connaissance de cause : oui.
        Nota : je n’ai pas été agacée, je partage votre point de vue ; j’essaye seulement d’être pragmatique en ne destabilisant pas des ados qui le sont déjà beaucoup (évidemment, ils ne boivent ni ne couchent pas tous, heureusement mais on en rencontre beaucoup quand même, ne nous voilons pas la face)
        Brigitte.

      • Jacqueline dit :

        Je ne sais pas s’il vous est arrivé d’essayer de défaire un nœud, sans succès, pour vous rendre compte qu’il y a un autre nœud plus haut qu’il faut attaquer en premier? C’est un peu comme ça, cette question. Vous essayez de vous occuper d’une situation réelle, urgente, présente. Il faut une contraception plutôt efficace pour aborder le problème. Et nous voilà. Le vrai problème remonte plus loin, plus haut. Comment nous arrivons à une situation où on donne des cancérigènes à 70% des femmes en âge de procréer? Quel message est implicite dans cela? Que nous le valons bien?!! Si on admet que la pilule est un mal nécessaire de nos jours, comment peut-on minimiser son impact, réduire son utilisation au strict minimum? La prendre pendant 5 ans plutôt que 16? Reconnaître que la prédominance de la pilule n’est pas un super projet à long terme! J’ai choisi le titre de cet article avec soin. La plupart de femmes qui utilisent la contraception hormonale n’ont pas la moindre idée des risques qu’elles encourent. Si elles le savaient, peut-être qu’elles seraient poussées à imaginer leurs vies autrement. Je nage volontiers contre ce courant, car il y a une vérité qui me dérange.

  2. Sophie dit :

    Bravo!

    • Jacqueline dit :

      Merci Sophie. Ce n’était pas facile à écrire cet article et je l’ai couvé pendant trois semaines avant de le publier. Mais j’attends à ce que d’autres commentaires soient moins approbateurs!

  3. Aurélie dit :

    Bravo et merci pour cet article audacieux !
    Au moins, les questions sont soulevées, et ça ouvre le débat.
    Parce qu’effectivement en tant que femme française aujourd’hui quand on va chez le gynécologue, la pilule est présentée comme étant la seule solution (« miracle »?!) fiable. Et lorsque, souhaitant trouver une contraception non hormonale, on ose poser la question des autres possibilités, on nous renvoie des phrases du type  » les autres ne sont pas fiable à 100%. » Mais, quel moyen est fiable à 100% ? Aucun.
    Aurélie

    • Jacqueline dit :

      Merci Aurélie. Ce que tu racontes doit résonner pour plus qu’une femme. Il y a également eu un refus de ‘chercher plus loin’ en France, car dans d’autres pays il existe encore des méthodes ‘barrières’ de contraception et celles-ci ont continué à développer. Pas en France où on est abonné à la solution miracle. Or l’ingestion de cancérigènes pour assurer cette solution fiable à 100% me paraît aberrant, d’autant plus que cela ne se dit pas. Génial, on a notre liberté, mais à quel prix? Finalement, c’est peut-être cette idée de ‘liberté totale’ qui doit aussi être mise en question. Je n’ai pas les réponses. Simplement je vois que à l’image d’une société qui pollue ses terres et ses océans par sa croissance déchaînée, sans regard pour l’avenir, la même chose se fait chez la femme, car malheureusement cela nous arrange.

  4. detremmerie dit :

    Bonjour,
    Bravo pour cet article très intéressant. Comme toi Jacqueline, j’ai pris conscience après au moins 10 ans de pilule que c’était toxique pour mon corps. Quand à 25 ans, j’ai voulu me faire poser un stérilet, ma gynéco lyonnaise de l’époque a refusé sous prétexte qu’il faudrait me l’enlever 3 ans après car je voudrai avoir des enfants à ce moment là ;-(
    Nous sommes enfermées dans des cases et il faut se battre dans le cabinet des gynécos comme une lionne pour être écoutées. Le livre de Martin Winkler ‘Le Choeur des femmes’ m’a fait bcp de bien à ce sujet. Même si un stérilet est posé pour 3 ans, je dis bravo, c’est tjrs ça de gagné.
    Je poste ce commentaire car je suis abasourdie de lire (dans les commentaires) que les stérilets au cuivre ne sont plus disponibles. Une gynéco m’en a posé un il y a 6 mois… Cette bonne vieille technique aurait-elle été interdite car non lucrative pour les labo pharmaceutiques ?
    Encore bravo pour cet article et pour ce blog de manière générale.
    Anne, une femme rencontrée lors d’une préparation à la naissance physiologique 😉

    • Jacqueline dit :

      Merci Anne et je me souviens bien de toi 🙂

      Cette bonne vieille technique aurait-elle été interdite car non lucrative pour les labo pharmaceutiques ?

      Tant que notre santé est gérée indirectement par des sociétés dont le maître mot est ‘bénéfices’, je doute que la femme soit bien servie. Mais bon, ça c’est l’article suivant… 😉

  5. Mariew dit :

    La 20aine en 2013 je n’ai pas connu cette « révolution » qu’a apportée la pilule. Je fais partie de cette génération née avec; elle était là, banalisée, j’étais donc neutre à son égard et j’ai suivi avec confiance les conseils de mon médecin. Et je me rends compte maintenant à quelle point cette prétendue liberté est fausse…peut-être que sexuellement elle peut apporter cette sensation (mais amène aussi beaucoup d’hommes à se détacher de toute responsabilité et à profiter de l’utilisation de la pilule), mais elle amène en réalité un asservissement du corps…Que j’explique un peu mon parcours :

    Lors de ma première prescription pour un moyen de contraception, jeune, naïve et sans idée préconçue j’ai accepté la solution que me proposait mon médecin. La seule et unique solution proposée : la pilule, sans soumettre d’autres méthodes à mon choix (liberté ?). J’ai suivi sa prescription : j’ai pris 10 kilos et je suis devenue dépressive. Détestant mon corps je refusais que mon copain me touche ou même me regarde. Niveau liberté sexuelle, ça n’était donc pas ça. Quand j’ai rapporté les effets secondaires à mon médecin en demandant si je pouvais en changer, il m’a rit au nez en me répondant que ça n’était pas possible que tout ça n’était pas à cause de la pilule (malgré une prise de sang qui témoignait de la présence de cholestérol!) : il fallait juste que je surveille mon alimentation et que j’aille voir un psychologue car il devait sûrement y avoir un problème sous-jacent…C’est assez dur à entendre… Au bout d’un moment je me suis dit que je ne pouvais plus continuer ainsi, j’ai donc changé de médecin.

    Ce dernier a compris ma demande et m’a prescrit…une nouvelle pilule. Encore une fois sans me parler de toutes les possibilités. Au départ tout se passait bien, la prise de sang était normal et physiquement je ne notais aucun changement, mis à part le fait que je revenais à un poids normal. Puis au bout de 6 mois j’ai commencé à faire des « crises » : une montée fulgurante d’une douleur abdominale suivie par des vomissements violents, une alternance extrême de sensation de chaud et de froid. Le tout durait entre 5 et 12h sans qu’aucun médicament ne parvienne à me soulager, et ce à raison d’une fois par mois/ une fois tous les deux mois. Je n’ai pas fait le lien tout de suite. J’ai vu différents médecins avec autant d’examens et de diagnostiques sans aucun résultat : c’est dû à certaines aliments, ce sont vos intestins, c’est votre vésicule…Cela me rongeait petit à petit, j’ai fini par proscrire certains aliments sans succès, à avoir peur des sorties que j’évitais le plus possible, à devoir m’absenter de cours parce que je sentais une « crise » venir….On ne peut pas vraiment parler de liberté là non plus. Et puis suite à une nouvelle prise de sang il s’est avéré que j’avais du cholestérol, mon nouveau médecin a soupçonné la pilule, il m’en a à nouveau fait changer. Pourtant j’ai lancé la discussion sur les divers moyens de contraception. Sans succès. Cela fait un an que j’ai arrêté cette seconde pilule…je n’ai pas eu une seule « crise » depuis….malheureusement ce n’est qu’avec du recul que j’ai fait le lien…

    Troisième pilule. Devenue méfiante je ne laissais rien passer, je surveillais tout ce qu’il se passait dans et sur mon corps, je devenais parano. Mais pas à tort malheureusement. D’abord mon médecin m’avait assuré qu’elle était remboursée comme les deux premières. J’ai eu la mauvaise surprise de découvrir que non en allant à la pharmacie. 35 euros la boîte. Etudiante en galère je me suis trouvée totalement désemparée, ça n’est pas un budget dont je dispose (et je n’ai pourtant aucune dépense futile : tabac, cinéma, gâteaux…etc). L’aspect financier pour certaines pilules n’est pas négligeable; elles ne sont pas accessibles à tous et c’est aussi à prendre en compte dans le débat. Ensuite au fur et à mesure de sa prise j’ai cru vivre une seconde adolescence : des boutons d’acné sur tout le corps et nombreux alors que ça n’avait jamais été le cas et des règles totalement irrégulières qui duraient 3 semaines pour 1 semaine de tranquillité. A nouveau je détestais mon corps et refusais de me dévêtir, et encore une fois je devenais esclave de la pilule. Je n’ai pas tenu plus de 6 mois avec.

    Nouveau rendez-vous avec mon médecin, nouvelle relance sur l’envie de trouver un autre moyen de contraception. Finalement nouvelle pilule avec en prime un discours moralisateur sous-entendant qu’il ne pourra rien faire de plus pour moi après ça. Je vois. Je l’ai vite abandonnée au bout de deux mois; mes seins étant 24h/24 trop douloureux, cela devenait invivable.

    Voilà le prix de la « liberté » payée pendant 3 ans. Depuis 6 mois je n’ai plus aucun moyen de contraception puisque je refuse désormais la pilule et que je peine à obtenir un ersatz. Je me sens mieux mais je ne suis certainement pas libre sexuellement car la contraception reste une bénédiction; en revanche il est étrange de voir que finalement je me sentais autant prisonnière avec la pilule (qui me soumettait totalement) que sans.

    Voilà aussi l’état de la contraception en France en 2013 : j’ai quand même vu 3 médecins différents, 3 médecins qui ne juraient que par la pilule. Quant aux gynécologues, je ne peux dire, j’en ai contacté 5 avant d’obtenir un rendez-vous : beaucoup ne prennent plus de nouvelles patientes. J’attends toujours mon rendez-vous avec le 6ème…

    Je ne crie pas à la mort de la pilule, cela peut très bien se passer pour certaines femmes et chacun est libre de choisir sa contraception; mais oui effectivement vous avez raison il faut arrêter de se leurrer sur la pilule : ce n’est pas la liberté ni même le produit miracle. La prise de conscience progresse (notamment avec les dégâts des pilules de 3ème génération) mais il y a encore du chemin à faire…

    • Jacqueline dit :

      Merci de ce témoignage franc. Je pense qu’il peut aider d’autres femmes. C’est marrant parce que ce soir, à travers les commentaires, je revisite un billet écrit il y a 21 mois. Dans les deux cas, je m’étonne de voir comment j’ai pu être jugeant! Aujourd’hui, et grâce à des dialogues issues de ce billet, ma position sur la pilule est plus nuancée. Je pense qu’elle peut être une solution pour certaines femmes à certaines périodes de leurs vies.MAIS je refuse de la voir comme la ‘solution taille unique’ pour chaque femme ; je refuse de la voir comme anodine ; et je me demande encore quand est-ce que le corps médical a abandonné son objectivité?

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